Questionner le réel, et ses espaces, voici la principale problématique du travail d’Emma Cozzani. Pour l’une de ses œuvres, elle a pris le parti de mettre en scène un journal télévisé qu’elle avait transcrit une première fois pour le numéro 10
d’Infra : Transcription. Dans ce numéro, elle reprenait mot pour mot les formules du journaliste et présentateur David Pujadas, ainsi que ceux des différents intervenants. Par cette mise en performance, Emma Cozzani questionne la manière dont nous sont transmises les informations. Elle opère un écart entre la structure du journal lui-même, sa transcription sur papier, et enfin sa mise en scène. Cette question de l’écart est omniprésente dans son travail, et en cela, elle se pose en héritière de l’«inframince» de Marcel Duchamp. Si son approche peut être qualifiée de post-conceptuelle, c’est qu’elle va au-delà des principes des artistes conceptuels, pour qui l’idée prévalait sur la plasticité de la forme. La jeune artiste donne une importance égale au concept, à sa matérialisation et à sa mise en espace. Ce positionnement est notamment visible dans Sans titre (Diskret), qui est la représentation graphique, frontale, d’un ancien poste frontière entre Allemagne de l’Est et Allemagne de l’Ouest. Ce dessin, tracé à l’encre blanche fluorescente, invisible à l’œil nu, ne se révèle qu’avec l’utilisation d’une lumière à ultraviolet, qui tournoie dans l’espace à la manière des projecteurs de surveillance frontaliers de l’époque. Par ailleurs, sa configuration change en fonction de l’architecture du lieu : une porte en plein milieu du dessin par exemple, en modifie forcément l’aspect. Ici l’étudiante questionne le devenir et la pérennité des lieux de mémoire à travers le temps et l’espace. Dans Sans titre (Insula), Emma Cozzani a choisi de travailler sur la fonctionnalité des modes de consultation des Archives départementales de Nîmes. Elle propose un espace de confrontation et d’association des documents après leur délai de communicabilité, soit après un changement de statut de l’objet archive. Pour ce faire, elle a repris le schème du studiolo de la Renaissance italienne, qui rappelle celle des tables de travail des moines copistes, pour offrir un espace de lecture au design réinventé. Ce travail peut rappeler le projet du Bauhaus où était entre autre développée l’idée que chaque objet de notre quotidien devait être appréhendée comme une œuvre à part entière. Emma Cozzani envisage aussi cette installation comme la représentation en trois dimensions d’un dessin, signification première du terme design. Dans Sans titre (rien ne garantit encore que), l’étudiante a utilisé le format et la structure du journal Le Monde et remplacé tous les caractères par des signes graphiques, comme pour poser la question du signifiant et du signifié : Que nous dit ce journal ? Dans cette œuvre où le verbe est absent, le contenu devient la forme, le texte devient un signe. Le signe se substitue au langage. Emma Cozzani retourne le journal sur lui-même, il n’est plus que graphique. Il est également à remarquer que quasiment toutes les œuvres portent la mention Sans titre, suivi entre parenthèses d’un sous-titre, agissant comme une piste de lecture potentielle. Là encore, Emma Cozzani crée un écart, rejoignant le concept d’ «inframince» inventé vers 1930 par Marcel Duchamp, qui exprime notamment une différence infime entre deux choses, ou un renversement. Une chose est une chose mais peut être en même temps son contraire, comme les dessins réalisés par l’étudiante au cordeau de maçon: plan d’architecte? Non, questionnement sur l’espace et sa division. Cependant, l’étudiante laisse aussi le spectateur libre de se faire son idée propre.
Nicolas Sayous