Lors d’une première rencontre avec l’œuvre de Pauline Poissy, il semble ne rien y avoir d’identifiable sur la toile. Ses travaux donnent l’impression de monochromes. Toutefois, la jeune plasticienne invite son spectateur à chercher, à se déplacer face au tableau. Alors, les formes se dessinent, deviennent plus distinctes : ici un zèbre apparaît, là un buffle ou une panthère. Tel un bas relief très fin, l’animal est présent, maintenant, vous le savez, vous ne voyez même plus que lui. Plus vous scrutez la toile, plus les choses deviennent limpides, claires, et chaque nouvelle perspective vous apporte une vision différente de l’animal représenté. Le tableau semble être en permanente métamorphose selon l’endroit où l’on se place. D’ailleurs, la notion qui importe le plus à Pauline Poissy est celle de camouflage. La peinture se veut telle la peau de l’animal, comme vivante. Cette notion d’organicité est aussi présente dans son approche même de la réalisation, par l’importance accordée à l’aléatoire. Ses toiles, si elles sont pensées, réfléchies, ont aussi une part incontrôlable, la vie de la peinture, pendant le temps de séchage, déterminant le résultat. Aussi, telle une musicienne de Jazz, elle se laisse aller à l’improvisation. Outre la référence se situe entre les grands inventeurs de la peinture monochrome, tels Kazimir Malevitch et Alexandre Rodtchenko, Pauline Poissy s’est intéressée à l’œuvre de Gilles Aillaud, figure majeure de la Nouvelle figuration, courant artistique qui vit le jour dans les années 1960.Ce peintre français traita notamment de l’enfermement à travers la représentation d’animaux sauvages dans les zoos. Par leur composition ses toiles posent notamment la question du regard : qui, de l’homme ou de l’animal, observe qui ? Ce mélange dans le travail de Pauline Poissy forme une sorte de syncrétisme pictural à la fois poétique, onirique, et engagé. Parmi ses lectures, on trouve des recueils de photographies animalières, qui sont en quelque sorte la matière première de son travail: ses modèles. Sur ce point, elle affirme d’ailleurs ne pas vouloir peindre directement de « vrais » animaux évoluant dans leur environnement, pour en quelque sorte ne pas leur voler leur âme – une sorte d’animisme –, leur préférant donc des animaux photographiés. Une référence primordiale pour Pauline Poissy, et d’ailleurs revendiquée par la jeune artiste, est l’écrivain, essayiste, poète et dramaturge Jean-Christophe Bailly, qui s’est particulièrement intéressé à la question animale, et à la place de l’homme face au monde animalier. Parmi les ouvrages importants de Bailly, Le parti pris des animaux, dans lequel l’auteur décrit de manière très
sensible la façon dont les animaux se meuvent, se camouflent, construisent un territoire face aux périls. Pauline Poissy cherche à montrer une autre façon d’être au monde : celle des animaux. Ils symbolisent chez elle une alternative à la pensée occidentale, qui place l’animal au bas de l’échelle de l’évolution sans réellement prendre en compte son existence, ses facultés. L’étudiante comme ses inspirateurs, tente de nous faire ressentir les frontières et passages entre animaux et humains. Elle tente par sa peinture de changer le regard que nous portons sur eux. N’est ce pas l’un des pouvoirs de l’art que de nous montrer un autre chemin?
Nicolas Sayous