Morgane Gille travaille principalement la photographie, adaptant chaque fois l’appareil utilisé à son sujet photographique. En effet, même si elle privilégie le réflexe numérique, elle utilise également le sténopé et s’intéresse à la chambre photographique. Son travail propose une réflexion sur la représentation et la question de la «réalité» saisie par l’objectif photographique. Elle s’interroge sur le médium photographique, à la fois comme témoinage du réel à un instant T, et interprétation subjective du photographe. Proche des préoccupations de la nouvelle objectivité allemande, elle s’est penchée sur le travail de Hilla et Bernd Becher et l’héritage de l’école de Düsseldorf, avec qui elle partage la précision technique. Morgane Gille s’intéresse également aux architectures vues depuis l’extérieur, exempts de toute présence humaine. Mais elle choisit des décors factices, des bâtiments commerciaux abandonnés, ou des constructions en cours. Si le site est d’avantage le fruit d’une rencontre que d’une étude préalable, l’étudiante se rend sur le lieu choisi et en réalise entre 20 et 100 clichés. Ensuite, un tri sévère est effectué afin de conserver uniquement les clichés qui pourront être assemblés les uns aux autres afin de créer un panorama. À l’instar d’Andreas Gursky, elle retravaille numériquement ses photographies à l’aide d’un logiciel, afin d’atténuer certaines différences visibles entre les photographies, rendant ainsi le panorama constitué de cet assemblage plus homogène à première vue. Elle utilise un format moyen ou grand pour afin d’inciter le spectateur à porter sur ses photographies un regard en deux temps. D’abord une perception de loin, offrant une vue d’ensemble : s’en dégage l’impression d’une seule photographie d’un lieu semblant homogène, mais quelque peu troublant. Puis un regard de près permettant au spectateur de remarquer que cette œuvre a nécessité finalement l’assemblage de différents clichés, de déceler les subtilités du montage, les détails et l’information qu’ils apportent, et de comprendre la démarche de Morgane Gille. L’étudiante réalise parfois des séries en noir et blanc, mais travaille le plus souvent en couleur, c’est le cas pour la série en cours, Le calme après la tempête. Il s’agit de la seule série portant sur un phénomène climatique, qui eu lieu dans la ville où a grandie Morgane Gille. En effet, une mini-tornade est passée le 30 juin 2012 à Gérardmer, dans les Vosges, dévastant l’école primaire, dont témoigne la photographie Sur les Xettes, de 2012 (le titre fait référence au nom du quartier de la ville où se trouvait l’école). Il y a donc une approche de type documentaire par le choix d’un événement et d’un espace précis, même lié à une histoire personnelle. Mais l’étudiante a développé un travail à partir des diapositives de l’école retrouvées sur le site, recueillant aussi les souvenirs des anciens étudiants (dont ne fait pas partie Morgane Gille). L’homme est ici présent par son absence, l’étudiante suggérant les victimes par les dégâts causés par la tornade, les décombres, et non en les photographiant directement. Se distinguant des images de presse, alors même qu’elle manipule les images, l’étudiante questionne la manière dont l’information est traitée dans les médias, et la possibilité de retranscriptions du réel neutres ou objectives.
Cléo Morel