La rencontre est au centre du travail de Lauren Scott, le principal moteur de sa démarche. Qu’il s’agisse des trois vidéos présentées, du document audio, ou des cartes téléphoniques ayant appartenu à un prisonnier sud-africain: tout est fondé sur l’échange. Toutefois, nous ne sommes pas face à des reportages mais à des constructions filmiques artistiques portant la marque de la jeune artiste. Cette marque, Lauren Scott l’imprime par ses choix au niveau du montage, du cadrage, et de la place accordée au langage au sein de ses projets. Dans ses vidéos, on peut aussi sentir l’inspiration de la photographie dite de la Nouvelle objectivité allemande, initiée par Bernd et Hilla Becher : sans artifices. Ces derniers sont devenus célèbres pour leurs images de site industriels, voulues les plus neutres possible. Dans Archives de Lauren Scott, les seules choses que l’on voit sont des plans fixes des bâtiments des Archives départementales, du sol, ou des casiers. Il est aussi intéressant de noter que ces cadrages confèrent à ses prises de vue une certaine abstraction, par le jeu de la géométrie par exemple. Autre point important dans le travail de Lauren Scott, c’est la confiance établie avec ses interlocuteurs. Ce fait est particulièrement sensible dans les vidéos Archives et Andres. Pour cette dernière, il s’agissait au départ de filmer le travail d’un tisserand, mais au fil des mois, une autre relation s’est nouée : Andres se confie, raconte des anecdotes, nous parle de sa jeunesse dans les années 60/70. Là encore, ne nous y trompons pas, l’étudiante s’éloigne du reportage, nous faisant passer du silence à la parole, les noirs alternant avec des plans fixes sur le tisserand au travail. D’autre part, et c’est peut-être le plus caractéristique, plus encore qu’aux images, Lauren Scott confère une place majeure à la parole. Ce fait est tout à fait notable dans Archives ou dans Andres. C’est aussi le cas dans Tu/Vous, un document sonore sur la question du vouvoiement en France, qui offre à l’auditeur nombre de remarques cocasses sur la façon dont tout un chacun appréhende un fait culturel, qui, pour une étudiante sud-africaine de culture anglo-saxonne, apparaît comme un exotisme propre au français. La parole aussi est primordiale dans la vidéo relative aux cygnes, traitant notamment de la disparition du cygne noir. Ici pittoresque, sociologie et politique se mêlent dans
les propos des personnes interrogées. En effet la présence puis la disparition d’un cygne noir au milieu de cygnes blancs pose notamment le délicat problème de la différence vis-à-vis de la norme. Le langage ou plutôt son impossibilité est prégnant dans l’exposition de cartes téléphoniques. Quasiment vides, elles ont appartenu au prisonnier que l’artiste a suivi et interviewé pendant des mois. Ces cartes représentent la perte de la communication, et donc la coupure du lien vers l’extérieur : la fin de la rencontre.
Nicolas Sayous